Cour de cassation, chambre commerciale, 2 juillet 2025, n° 24-13.438
Rappel préalable : le sort des sûretés attachées à une créance antérieure au jugement d’ouverture
Lorsqu’un créancier est titulaire d’une créance antérieure garantie par une sûreté régulièrement publiée avant le jugement d’ouverture d’une procédure collective, il conserve le bénéfice de cette sûreté durant la procédure.
L’intangibilité de la créance et de ses accessoires est ainsi préservée et justifie la possibilité pour le créancier de renouveler sa sûreté avant sa péremption.
À défaut de renouvellement en temps utile, le créancier perd son droit de préférence et ne pourra être admis au passif qu’à titre chirographaire (Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 février 2021, n° 19-20.738).
En pratique, ce renouvellement s’impose jusqu’à l’effet de consignation au sens du code civil. Tant que cet effet juridique n’a pas joué, le créancier doit maintenir l’efficacité de son inscription.
Contexte de l’affaire
Dans cette affaire, une banque avait accordé un prêt garanti à un débiteur. Après l’ouverture d’une procédure de sauvegarde et l’adoption d’un plan, la banque a laissé expirer son inscription hypothécaire initiale, puis a procédé à une nouvelle inscription d’hypothèque judiciaire provisoire, alors que le plan était toujours en cours d’exécution.
Le débiteur et le mandataire judiciaire ont alors sollicité la mainlevée de cette inscription, en invoquant la violation de l’article L. 622-30 du Code de commerce, qui énonce la règle de l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés, interdisant aux créanciers antérieurs de procéder à une telle inscription après le jugement d’ouverture de la procédure collective.
L’apport de la décision rendue par la Cour de cassation :
La Cour de cassation confirme la décision rendue par la Cour d’appel, en ce qu’elle a ordonné la mainlevée de l’hypothèque judiciaire inscrite en cours d’exécution du plan de sauvegarde, considérant que l’article L. 622-30 du Code de commerce reste applicable pour les créanciers antérieurs, même après l’adoption du plan.
En conséquence, l’inscription opérée est jugée irrégulière, et sa mainlevée peut être ordonnée par le juge de l’exécution, conformément à l’article R. 512-2 du code des procédures civiles d’exécution.
Apport de l’arrêt :
Contrairement à ce que laisse penser la place de l’article L. 622-30 du Code de commerce au sein dudit code, situé au chapitre « de l’entreprise au cours de la période d’observation », l’interdiction d’inscription des sûretés ne cesse pas de s’appliquer après l’adoption du plan.
La Cour confirme ainsi que toute nouvelle inscription de sûreté ou mesure conservatoire demeure prohibée tant que le plan de sauvegarde est en cours et donc que toute initiative contraire est susceptible d’être frappée de mainlevée.
Conséquences pratiques :
La Cour de cassation retenait que l’inscription d’une sûreté après le jugement d’ouverture entraînait, non pas sa nullité, mais son inopposabilité à la procédure collective (Cour de cassation, Chambre commerciale, 7 novembre 2006, n° 05-11.551).
Mais le créancier antérieur pouvait tout de même procéder à l’inscription de sa sûreté, l’inopposabilité n’empêchant pas celui-ci, en cas de résolution du plan suivie de l’ouverture d’une nouvelle procédure, de bénéficier de l’inscription de sa sûreté dans cette nouvelle procédure.
Désormais, le créancier antérieur ne peut plus espérer bénéficier de cette sûreté dans une procédure subséquente. L’inscription postérieure au jugement d’ouverture, même formellement régulière, est désormais totalement inefficace.
La règle de l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés trouve ainsi à s’appliquer, pour les créanciers titulaires d’une créance antérieure au jugement d’ouverture, jusqu’à la fin du plan dont bénéficie le débiteur, soit jusqu’au terme du plan ou jusqu’à sa résolution.
Autrement dit, le créancier ne peut qu’espérer que le débiteur exécute intégralement son plan, faute de quoi il sera dépourvu de toute garantie effective pour le paiement de sa créance dans le cadre des répartitions.
Conclusion
Cette décision illustre la rigueur du droit des procédures collectives à l’égard des créanciers titulaires de sûretés.
Elle rappelle que les sûretés publiées doivent être activement maintenues et renouvelées tant qu’elles n’ont pas produit d’effet extinctif et que toute inscription de sûretés en cours de plan est interdite.
L’erreur du créancier de laisser périmer sa sûreté, qui auparavant pouvait être rattrapée en cas d’une nouvelle procédure collective de son débiteur, en procédant tout de même à sa réinscription, deviens désormais impardonnable.
Ce durcissement du régime vise à renforcer l’égalité entre les créanciers et la sécurité de la procédure collective, en évitant qu’un créancier puisse contourner l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés en profitant d’une nouvelle procédure.